"En quoi l'éducation artistique contribut-elle au développement de l'enfant? Octobre 2002 Nada Sehnaoui Introduction Ce soir j’essaierai de discuter de l’éducation artistique au sens stricte du terme c’est à dire les arts plastiques : le dessin, la peinture et la sculpture. Je ne discuterai donc pas de l’éducation musicale et de l’éducation théâtrale qui méritent par ailleurs toute notre attention. Il y a différentes approches à l’éducation artistique, ou plus précisément quand à notre propos, différentes approches quand aux buts d’une éducation artistique : 1-La plus restrictive et la plus ancienne c’est celle qui considère que seules les personnes qui font preuve d’un certain talent inné méritent une éducation artistique sérieuse afin de les préparer à devenir des artistes professionnels. 2-Une autre approche voit l’éducation artistique comme un passe-temps entre deux activités académiques sérieuses. Ce soir j’aimerais vous présenter les expériences d’éducateurs qui ont une vision de la pratique de l’art dans un cadre scolaire radicalement différente des deux précédentes.
a- Calme Pour commencer, j’aimerais vous relater une expérience qui a été conduite aux USA en 1994 par la thérapeute Carol Delue et pour laquelle elle a obtenu le « Gladys Agell Prize of Excellence ». La question conductrice à la recherche était : Est-ce que l’accomplissement d’une tâche artistique telle que la réalisation d’un dessin peut contribuer à la réduction du stress chez les enfants ? Les enfants étant eux aussi soumis au stress dû à une variété de raisons : cognitives, émotionnelle et physiologique. Une définition du stress étant : la réaction non spécifique du corps suite à une demande causée par des conditions désagréables « DISTRESS » ou des conditions agréables « EUSTRESS ». Le stress de l’enfant peut commencer pendant la période fœtale ou des recherches ont suggéré que le rythme cardiaque du foetus réagit au niveau de stress vécu par la maman. Aussi des chercheurs ont déterminé que le stress est en général important durant des périodes de transformation rapide. Ce qui permet de déduire que la période de l’enfance et de l’adolescence sont des moments propices au stress. Comme les conséquences du stress dépendent grandement de la manière avec laquelle la personne réagit au stress. Aussi les réactions individuelles au stress dépendent de plusieurs facteurs : Des recherches sur la lutte contre le stress ont démontré que parmi les outils les plus efficace pour lutter contre le stress est celui appelé par H. Benson : La Réponse de la Relaxation. Qui sont simplement les différentes techniques qui permettent de calmer le système nerveux autonome. Nombreux éducateurs ou thérapeutes ont noté le grand calme des enfants engagés dans une activité de dessin de peinture ou de modelage que ceci soit dans un cadre familial, scolaire ou médical. Le but de la recherche de Carol Delue est de permettre de démontrer si et dans quelle mesure l’engagement de l’enfant dans une création artistique permet d’induire à un état de relaxation qui permettrait de réduire les effets du stress sur son organisme. La recherche a eu lieu dans une banlieue de la Californie du nord. Les sujets appartiennent à la classe moyenne aisée d’une école élémentaire. 33 enfants de l’âge de 5 à 10 ans. Dont 28 blancs et 5 d’origine hispanique, africaine et hawaïenne. Pour Le groupe Expérimental : Le groupe de Contrôle : Les activités du groupe de contrôle ont été choisies pour leur nature neutre, la familiarité des enfants avec ces jeux ce qui ne provoquerait pas des émotions de grande stimulation, et parce qu’elle ressemble assez à l’activité du groupe expérimental à l’exclusion de l’aspect créatif. Une fois les instructions données à l’enfant, La personne menant le test n’engage pas de conversation avec lui mais l’a observe à l’œuvre. Le groupe expérimental a montré une baisse du rythme cardiaque de 7 battements par minutes. Alors que le groupe de control a montré une variation indifférenciée, de plus ou moins 1 battements par seconde. La moyenne du battement du cœur d’un enfant de cet âge est environ de 95bpm. Ce qui fait une diminution de 7.5%. Diminution assez impressionnante,compte tenu du fait que l’enfant est en situation active, entrain de dessiner et non pas en situation de repos. Cette recherche a donc utilisé des indices physiologiques pour prouver que l’engagement dans une activité artistique tel que le dessin a un effet physiologique calmant qui se manifeste par une réduction significative des battements du cœur par minute. Cette recherche est considérée comme pionnière pour découvrir les effets de la pratique de l’art sur l’organisme humain au niveau de la relaxation et de la lutte contre le stress. b- Concentration Le calme observé et calculé par l’expérience précitée est un calme qui est survenu naturellement non pas suite à une demande d’un adulte ou d’un enseignant : « calmez-vous ». Mais suite à une activité créatrice par laquelle l’enfant a été intensément engagé. Cet engagement intense est la concentration rêvée par les enseignants. c- Autodiscipline Calme et concentration nous conduisent à une troisième idée qui est une idée fondamentale à plus d’un système éducatif comme ceux des pays du l’Europe du Nord, comme la Suède et la Norvège et aussi à celui des Etats-Unis, c’est idée d’autodiscipline.
a- Développement de la capacité à l’abstraction et à la conceptualisation J’aimerais passer à la deuxième partie qui est le développement des fonctions Cognitives. Qu’est-ce qui se passe lorsque nous dessinons ou lorsqu’un enfant prend des crayons pour dessiner ?
Selon Piaget, c’est au terme de la période sensori-motrice, vers 1 ½ à 2ans, qu’apparaît une fonction fondamentale pour l’évolution des conduites ultérieures et qui consiste à pouvoir représenter quelque chose, un signifié quelconque, un objet, un événement, un concept etc.… au moyen d’un signifiant différencié et ne servant qu’à cette représentation : Langage, image mentale, geste symbolique, etc. c- Expérience d’un atelier de céramique J’aimerai maintenant vous relater l’expérience d’un atelier de sculpture par l’argile ou la terre glaise, en anglais Clay, qui s’intitule : Cette expérience a été menée par trois éducatrices Sara Smilansky, Judith Hagan et Helen Lewis. Elle a eu lieu dans deux pays différents : les Etats-Unis et Israël. Le but de la recherche : Promouvoir le Développement Cognitif, les facultés de la connaissance, auprès d’enfants de milieux socialement désavantagés. L’expérience menée en Israël est intéressante pour nous parce que la population choisie pourrait avoir des similitudes avec certaine population libanaise. 1600 élèves sont divisés dans 53 classes, ont formé dans chacun des deux pays le groupe expérimental. Pour ceux que cela intéresse, cette expérience a aussi permis de tester 3 différentes approches éducatives que je citerai rapidement mais que je ne discuterai pas ici en détail : Cette expérience a été aussi été faite en 2 temps pour permettre aux chercheurs et aux enseignants d’affûter leur critères, leurs concepts et leur problématique. Les enfants des deux groupes ont pris plusieurs tests avant et après les 16 semaines. Je vais vous communiquer quelques résultats de quelques tests : 1-Le test de la capacité sculptural test développé par l’équipe : 2-Bien que le groupe expérimental ne prenait pas de cours de dessin, un test de dessin a fait partie de l’expérience. Le but était de savoir si les nouvelles compétences acquises dans le domaine la sculpture, pouvait être transmissible au dessin qui est une opération dans un monde bidimensionnelle alors que la sculpture est tridimensionnelle. La aussi une nette amélioration dans les scores a été noté. 3-Le troisième genre de test qui a été donné toujours avant et après l’expérience est un test d’Intelligence commun aux écoles des Etats Unis. c’est le Weshler Preschool Scale of Intelligence. Le but est ici aussi est de vérifier si les capacités acquises dans le domaine de la sculpture créative pouvaient être transféré aux autres facultés de la connaissance Pour le groupe expérimental des garçons une amélioration de 8.5% a été noté alors que pour le groupe de contrôle il n’y a eu une amélioration que de 4.5%. Pour le groupe expérimental des filles, une amélioration de 4.5% a été noté alors que le groupe de contrôle des filles n’a vu que 0.5% d’amélioration. Des résultats importants ont donc été obtenus alors que l’expérience n’a eu lieu que pendant 16 séances, soit deux séances par semaines, donc une période de 2 mois. d- Les Mécanismes d’une pensée créative -Le développement de la Sensibilité=Une éducation artistique développe la sensibilité aux détails, aux lignes, aux formes, aux volumes, aux couleurs… aux êtres et aux objets qu’ils forment, elle affine l’observation qui permet de dépasser les généralisations premières et de pouvoir s’attarder aux détails et aux besoins des uns et des autres, y compris à ses propres besoins. -Le développement de La capacité à la Flexibilité et à la résolution des problèmes= Lors de l’accomplissement d’un projet, un dessin , une peinture ou une sculpture, l’artiste apprend la flexibilité, il doit s’adapter à ce qui se passe sur son papier. Chaque geste posé est une action qui a ses conséquences, parfois heureuse parfois moins heureuse. Donc chaque geste nécessite une capacité à la flexibilité qui permet la continuité du travail. Même s’il a longuement réfléchi et planifié son projet, il reste que la règle de la création artistique, du fait même du passage du concept à la matérialité, favorise l’avènement du nouveau avec lequel il va falloir s’adapter. C’est aussi un terrain idéal pour apprendre à résoudre des problèmes de dimensions gérables. -Le Développement de l’originalité= Une expérience artistique vécue est un espace ou l’enfant développe son individualité. En effet la règle n’est pas la répétition d’un modèle qui existe mais la réalisation d’un nouveau modèle, d’une image nouvelle à partir de son idée, ses capacités techniques particulières et de ses émotions propres. -Le développement de la capacité à l’analyse= Une personne créative possède la capacité à l’analyse, de partir du global, du général pour arriver aux détails. Du global, elle a la capacité de pénétrer un sujet, de le subdiviser, de le fragmenter puis de le ré assembler. Dessiner un chien par exemple permet de passer par ces étapes de l’analyse. Du concept de chien, l’enfant passe à l’idée de dessiner un chien en particulier ou son chien, puis de ce chien il passe au détail, la tête, le corps , les oreilles… puis de nouveau, il repense au chien dans sa totalité. - Le développement de la capacité à la synthèse= C’est la capacité qui permet de prendre plusieurs éléments préexistants et de leur redonner un nouveau sens. Les éléments de la peinture sont souvent les mêmes, lignes, couleurs, formes, volumes. C’est la nouvelle synthèse qu’on en fait qui devient une peinture, une sculpture, un dessin. -La redéfinition= C’est la capacité de donner une nouvelle définition, un nouveau sens à ce qui existe déjà. De détourner les objets de leur usage habituel, ou de faire éclater des formes et des idées que nous connaissons peut-être tous déjà mais dans un nouveau contexte dans une nouvelle perspective, une nouvelle vision. -La Capacité à l’organisation= L’apprentissage de la pensée créative c’est aussi l’apprentissage de l’organisation. Dans une peinture, il y a une constante recherche d’une harmonie. D’une organisation du tout. De la Renaissance à l’art moderne, les éléments de l’harmonie se sont radicalement transformés. Il reste une constante qui est la recherche par l’artiste petit ou grand d’une logique de la construction de sa toile. -La Capacité à developer et élaborer à ses idées= La révolution de la modernité c’est d’avoir établit que la technique artistique est le moyen, le media, pour exprimer les idées et la vision de l’artiste. Aujourd’hui, L’artiste est une personne qui nous apporte une idée nouvelle, une vision nouvelle. La matérialisation de cette idée est une toile, une sculpture, une installation. L’artiste qui n’a pas d’idée est un imitateur, son travail est considéré comme inutile pour sa société. Un artiste qui a des idées mais qui ne les réalise pas est un dilettante tout aussi inutile.
Pour Conclure, j’aimerais citer ou plus précisément essayer de traduire les propos de Bruno Bettelheim. On pourrait donc dire, je dessine donc je suis. Parce que le dessin est une pensée matérialisée qui se forge par la technique, les émotions et l’expérience. A la lumière de ce que nous avons vu, je me permets de conclure que l’éducation artistique et l’éducation esthétique est le droit de chaque enfant et non pas le privilège de quelques heureux élus. Les routes qui traversent nos villes et nos montagnes, les immeubles que nous construisons, les appartements et les maisons que nous habitons, les jardins que nous créons ou que nous ne créons pas, le patrimoine culturel que nous préservons ou décidons de raser, comme cela a été le cas pour la place des martyrs; chaque pierre posée ou détruite, chaque espace vert préservé ou saccagé est le fruit du choix d’un individu, le choix d’une société et le reflet de sa culture.
Bibliographie Art Education Art and Adolescence, Teaching Art at the Secondary Level Clay in the Classroom, Helping Children Develop Cognitive and Affective Skills for Learning Medical Art Therapy with Children Drawing Together to Develop Self-Control |